Призрак оперы. Уровень 1 = Le Fantome de l`Opera
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Леру Гастон

Призрак оперы. Уровень 1 / Le Fantome de l`Opera

© Алмазова Н. А., адаптация текста, комментарии, упражнения и словарь, 2025

© ООО «Издательство АСТ», 2025

AVANT-PROPOS

où l'auteur de ce singulier ouvrage raconte au lecteur comment il fut conduit à acquérir la certitude[1] que le fantôme de l'opéra a réellement existé[2]

Le fantôme de l'Opéra a existé, en chair et en os[3], bien qu'il essayait d'avoir les apparences d'un vrai fantôme[4], c'est-à-dire d'une ombre.

Il ne serait point difficile[5] de trouver encore aujourd'hui des vieillards fort respectables, qui se souviennent comme si la chose datait d'hier, des conditions mystérieuses et tragiques qui accompagnèrent l'enlèvement de Christine Daaé, la disparition du vicomte de Chagny et la mort de son frère aîné le comte Philippe, dont le corps a été trouvé sur la berge du lac qui s'étend dans les dessous de l'Opéra[6].

Un jour, j'avais passé[7] de longues heures en compagnie des Mémoires d'un directeur, œuvre légère de ce trop sceptique Moncharmin qui ne comrenait rien[8] à la conduite du fantôme. Il était la première victime de la curieuse opération financière qui se passait à l'intérieur de «l'enveloppe magique»[9].

Désespéré, je venais de quitter[10] la bibliothèque quand j'ai rencontré le charmant administrateur de notre Académie nationale, qui bavardait avec un petit vieillard vif et coquet, auquel il m'a présenté allègrement[11]. M. l'administrateur était au courant[12] de mes recherches et savait avec quelle impatience j'avais en vain tenté de découvrir la retraite du juge d'instruction de la fameuse affaire[13] Chagny, M. Faure. Ce petit vieillard était M. Faure lui-même.

Il m'a raconté toute l'affaire Chagny telle qu'il l'avait comprise. Bien entendu[14], quand je lui parlais du fantôme, il rirait. Mais il avait entendu un témoin qui avait affirmait qu'il avait eu l'occasion de rencontrer le fantôme. Ce personnage – le témoin – tout le monde appelait «le Persan». Il était bien connu de tous les abonnés de l'Opéra.

J'ai découvert le Persan dans son petit appartement de la rue de Rivoli.

Tout d'abord[15], je me méfiais; mais quand le Persan m'a tout raconté et quand il m'a montré l'étrange correspondance de Christine Daaé, j'ai compris: le fantôme n'était pas un mythe!

On se rappelle que dernièrement des ouvriers ont trouvé un cadavre dans le sous-sol de l'Opéra; or, j'ai eu tout de suite[16] la preuve que ce cadavre était celui du Fantôme de l'Opéra! J'ai fait toucher cette preuve, de la main, à l'administrateur lui-même.

Mais nous reparlerons[17] de ce cadavre; maintenant, il est important de terminer ce très nécessaire avant-propos en remerciant ceux qui m'ont fait du plus utile secours et grâce auxquels je vais pouvoir, avec le lecteur, revivre, dans leurs plus petits détails, ces heures de pur amour et d'effroi. – G. L.

I

Est-ce le fantôme?

Ce soir-là MM. Debienne et Poligny, les directeurs démissionnaires de l'Opéra, donnaient leur dernière soirée de gala, à l'occasion de leur départ[18]. La loge de la Sorelli, un des premiers sujets de la danse, était envahie par une demi-douzaine de ces demoiselles du corps de ballet[19]. La Sorelli était très superstitieuse. Elle a entendu une des filled, la petite Jammes, parler du fantôme et a dit:

«Petite bête!»[20]

Mais elle lui a demandé tout de suite[21]:

«Vous l'avez vu?

– Comme je vous vois!» a répliqué la petite Jammes.

«Bah! a dit l'une des danseuses qui avait à peu près conservé son sang-froid[22], vous voyez le fantôme partout.»

Et c'est vrai que, depuis quelques mois[23], tout le monde parlait de ce fantôme en habit noir qui se promenait comme une ombre du haut en bas[24] du bâtiment.

Au fond[25], qui l'avait vu? On peut rencontrer tant d'habits noirs à l'Opéra qui ne sont pas des fantômes. Mais celui-là avait une spécialité que n'ont pas tous les habits noirs. Il habillait un squelette.

L'imagination du squelette était née de la description de Joseph Buquet, chef machiniste[26], qui, l'avait réellement vu. Voici ce qu'il a dit du fantôme:

«Il est très maigre et son habit noir flotte sur un corps squelettique. Ses yeux sont si profonds qu'on ne distingue pas bien les prunelles immobiles. On ne voit, en somme, que deux grands trous noirs. Sa peau n'est point blanche, mais jaune. Il n'a pas de nez du tout.»

Ce chef machiniste était un homme sérieux. Sa parole était écoutée avec stupeur et intérêt, et aussitôt les autres aussi avaient rencontré un habit noir avec une tête de mort.

Et puis, des incidents curieux et inexplicables se sont produits coup sur coup[27].

Un lieutenant de pompiers, c'est brave! Il ne craint rien, il ne craint surtout pas le feu!

Mais un lieutenant de pompiers, qui s'en était allé faire un tour de surveillance[28] dans les dessous, était soudain réapparu sur le plateau, pâle et tremblant, les yeux hors des orbites. Et pourquoi? Parce qu'il avait vu s'avancer vers lui, à hauteur de tête[29], mais sans corps, une tête de feu! Et je le répète, un lieutenant de pompiers, il ne craint pas le feu.

Ce lieutenant de pompiers s'appelait Papin.

La Sorelli elle-même, entourée de toutes les danseuses, avait, – au lendemain de l'histoire du lieutenant de pompiers, – sur la table un fer à cheval[30].

Voilà qui donne assez rapidement un aperçu de l'état d'âme de ces demoiselles[31], le soir où nous pénétrons avec elles dans la loge de la Sorelli.

«C'est le fantôme!» s'est écriée la petite Jammes. «Écoutez!»

Aucun bruit de pas. La Sorelli s'est avancée vers la porte, et a demandé:

«Qui est là?»

Mais personne ne lui a répondu.

Alors, elle s'est forcée à être brave et a dit très fort:

«Il y a quelqu'un derrière la porte?»

Puis la Sorelli, armée d'un stylet qui ne la quittait jamais, a osé tourner la clef dans la serrure, et ouvrir la porte.

Le couloir était désert. Et la danseuse a refermé la porte.

«Et pourtant, nous l'avons bien vu! a affirmé encore Jammes. Il doit être quelque part, par-là.»

La Sorelli a dit aux petites danseuses:

«Mes enfants, il faut vous «remettre»![32] Le fantôme? Personne ne l'a peut-être jamais vu!

– Si! si! Nous l'avons vu!.. nous l'avons vu tout à l'heure! ont repris les petites.

– Chut! M'man dit que le fantôme n'aime pas qu'on l'ennuie![33] – a dit Meg.

– Et pourquoi ta mère dit ça?

– Parce que… Parce que… rien… J'ai juré de ne rien dire!»

Mais elles ne lui ont laissé point de repos[34] et Meg, qui brûlait du désir[35] de raconter ce qu'elle savait, a commencé, les yeux fixés sur la porte:

«Voilà… c'est à cause de la loge…

– Quelle loge?

– La loge du fantôme! C'est la première loge, numéro 5, vous savez bien, la première loge à côté de l'avant-scène de gauche. C'est m'man qui en est l'ouvreuse… Mais vous me jurez bien de ne rien raconter?

– Mais oui, va!..

– Eh bien, c'est la loge du fantôme… Personne n'y va depuis plus d'un mois, excepté le fantôme, bien entendu, et on a donné l'ordre à l'administration de ne plus jamais la louer… On ne voit pas le fantôme! Et il n'a pas d'habit et de tête!.. On l'entend seulement quand il est dans la loge. M'man ne l'a jamais vu, mais elle l'a entendu… et pour sûr que Joseph Buquet a tort de s'occuper de choses qui ne le regardent pas[36]… ça va lui porter malheur…[37]»

À ce moment, on a entendu une voix qui criait:

«Cécile! Cécile! es-tu là?

– C'est la voix de maman! a dit Jammes. Qu'y a-t-il?»

Et elle a ouvert la porte. Une honorable dame est entrée dans la loge et tombée dans un fauteuil.

«Quel malheur! a-t-elle dit!.. Quel malheur!

– Quoi? Quoi?

– Joseph Buquet…

– Eh bien, Joseph Buquet…

– Joseph Buquet est mort! On vient de le trouver pendu dans le troisième dessous!.. Mais le plus terrible, continuait la pauvre dame, le plus terrible est que les machinistes qui ont trouvé son corps, prétendent qu'on entendait autour du cadavre le chant des morts[38]!

– C'est le fantôme!» a dit la petite Meg Giry.

La vérité est[39] qu'on n'a jamais bien su comment était mort Joseph Buquet. L'enquête n'a donné aucun résultat. Dans les Mémoires d'un Directeur, M. Moncharmin, qui était l'un des deux directeurs, est écrit:

«Le temps que je mis à dégringoler l'escalier[40], le pendu n'avait déjà plus sa corde!»

était au courant – был в курсе

j'avais en vain tenté de découvrir la retraite du juge d'instruction de la fameuse affaire – как тщетно я пытался узнать о местонахождении мирового судьи, расследовавшего знаменитое дело

Bien entendu – Конечно

Tout d'abord – Сначала

je venais de quitter – я только что покинул… (форма недавнего прошедшего времени – passé immédiat – переводится с добавлением слов «только что», «недавно»)

auquel il m'a présenté allègrement – которому он меня с радостью представил

tout de suite – тут же, немедленно

reparlerons – форма простого будущего времени (future simple) глагола reparler, т. е. «снова заговорим»

à l'occasion de leur départ – по случаю их ухода

demi-douzaine de ces demoiselles du corps de ballet – полдюжины танцовщиц кордебалета

depuis quelques mois – вот уже несколько месяцев

du haut en bas – сверху донизу

Au fond – В сущности, по существу

chef machiniste – главный рабочий сцены

«Petite bête!» – маленькая дурочка

tout de suite – тут же

conservé son sang-froid – сохранять хладнокровие

coup sur coup – один за одним

un tour de surveillance – обход

a hauteur de tête – на уровне головы

bien qu'il se donnât toutes les apparences d'un vrai fantôme – хотя делал все, чтобы его считали настоящим привидением

en chair et en os – из плоти и крови

dont le corps fut trouvé sur la berge du lac qui s'étend dans les dessous de l'Opéra – тело которого было найдено на берегу озера, находящегося под зданием Оперы

Il ne serait point difficile – будет несложно

ne comrenait rien – ничего не понимал (форма длительного прошедшего времени imparfait)

j'avais passé – я провёл (форма предпрошедшего времени – plus-que-parfait – используется здесь из-за согласования времён)

qui se passait à l'intérieur de «l'enveloppe magique» – получившей название «магический конверт»

le fantôme de l'opéra a réellement existé – призрак оперы действительно существовал (a existé – форма законченного прошедшего времени (passé composé) – образуется с помощью глаголов avoir или être + причастие прошедшего времени (participe passé) нужного глагола

comment il fut conduit à acquérir la certitude – как он пришел к уверенности

Mais elles ne lui laissèrent point de repos – Но они не отставали (продолжали настаивать)

brûlait du désir – сгорала от желания

et pour sûr que Joseph Buquet a tort de s'occuper de choses qui ne le regardent pas – и конечно Жозеф Бюке зря суёт свой нос не в своё дело

ça lui portera malheur – это принесёт ему несчастье

un fer à cheval – подкова

Voilà qui donne assez rapidement un aperçu de l'état d'âme de ces demoiselles – Это даёт представление о состоянии души этих девушек

il faut vous «remettre»! – Вы должны взять себя в руки!

Chut! M'man dit que le fantôme n'aime pas qu'on l'ennuie! – Цыц! Мама говорит, что призраку не нравится, когда ему надоедают!

chant des morts – песня смерти

La vérité est… – Правда в том…

Le temps que je mis à dégringoler l'escalier – За время, которое я потратил, чтобы спуститься с лестницы

II

La Marguerite nouvelle

Tout le monde est allé vers le foyer de la danse[41], où il y avait déjà beaucoup de gens.

Le compte de Chagny a exclamé:

«Ah! Sorelli, quelle belle soirée! Et Christine Daaé: quel triomphe!

– Pas possible! protestait Meg Giry. Il y a six mois, elle chantait comme un clou!»

Tout le triomphe était pour Christine Daaé, qui chantait d'abord dans quelques passages de Roméo et Juliette. La salle, tout entière, saluait Christine. Elle semblait avoir rendu l'âme[42].

Le comte de Chagny avait assisté, debout dans sa loge, il a crié ses bravos éclatants[43].

On disait qu'elle venait d'aimer pour la première fois! L'amour seul est capable d'accomplir un pareil miracle[44], une telle transformation.

Le comte de Chagny (Philippe-Georges-Marie) avait alors exactement quarante et un ans. C'était un grand seigneur et un bel homme. D'une taille au-dessus de la moyenne, d'un visage agréable, malgré des yeux un peu froids. Il avait un cœur excellent et une honnête conscience. La fortune des Chagny était considérable. Ses deux sœurs et son frère Raoul ne voulaient point entendre parler de partage.

Quand le vieux comte était mort, Raoul avait douze ans. Philippe s'est occupé activement de l'éducation de l'enfant. Raoul est entré à Saint-Cyr[45], il était là dans les premiers numéros[46].

La timidité de ce marin, son innocence, était remarquable. À cette époque, il avait un peu plus de vingt et un ans et en paraissait dix-huit. Il avait une petite moustache blonde, de beaux yeux bleus et un teint de fille.

Philippe gâtait beaucoup Raoul. Il l'emmenait partout avec lui, il lui a fait même connaître le foyer de la danse. Cependant il restait célibataire.

Philippe, après avoir applaudi ce soir-là la Daaé, s'était tourné du côté de Raoul, et l'avait vu très pâle.

«Vous ne voyez donc point, avait dit Raoul, que cette femme se trouve mal?[47]»

En effet, sur la scène, on devait soutenir Christine Daaé.

«C'est toi qui vas défaillir… a dit le comte à Raoul. Qu'as-tu donc?»

Mais Raoul était déjà debout.

«Allons! a-t-il dit, la voix frémissante. – C'est la première fois qu'elle chante comme ça!»

Ils ont pénétré sur le plateau. Raoul n'avait jamais été moins timide. Il était uniquement préoccupé du désir de voir celle dont la voix magique lui avait arraché le cœur[48]. Oui, il sentait bien que son pauvre cœur tout neuf ne lui appartenait plus.

Il avait bien essayé de le défendre depuis le jour où Christine, qu'il avait connue toute petite, lui était réapparue. Il ne pouvait pas même penser à épouser une chanteuse!

Le comte Philippe avait peine à[49] le suivre.

La belle enfant n'avait pas encore repris connaissance[50], et on était allé chercher le docteur du théâtre, qui est arrivé très vite.

Le médecin et l'amoureux se sont trouvés dans le même moment aux côtés de Christine, qui recevait les premiers soins de l'un et a ouvert les yeux dans les bras de l'autre.

«Ne trouvez-vous point, docteur, que ces messieurs devraient «dégager» un peu la loge? a demandé Raoul. On ne peut plus respirer ici.

– Mais vous avez parfaitement raison», a dit le docteur, et il a mis tout le monde à la porte[51], à l'exception de Raoul et de la femme de chambre[52].

Le docteur s'est imaginé que si le jeune homme agissait ainsi, c'était évidemment parce qu'il en avait le droit[53].

Dans la loge, Christine Daaé a poussé un profond soupir et elle a tourné la tête vers Raoul. Elle a regardé le docteur auquel elle a sourit, puis sa femme de chambre, puis encore Raoul.

«Monsieur! a-t-elle demandé à ce dernier, d'une voix qui n'était encore qu'un souffle… qui êtes-vous?

– Mademoiselle, a répondu le jeune homme qui a mis un genou en terre et a baisé la main de la diva, mademoiselle, je suis le petit enfant qui est allé ramasser votre écharpe dans la mer.»

Christine regardait encore le docteur et la femme de chambre et tous trois se sont mis à rire[54]. Raoul s'est relevé très rouge.

«Je vous remercie, docteur!.. a dit tout à coup Christine. J'ai besoin de rester seule… Allez-vous-en tous![55] je vous en prie… laissez-moi… Je suis très nerveuse ce soir…»

Le médecin s'en est allé avec Raoul. Il a dit:

«Je ne la reconnais plus ce soir…»

Et ils sont sortis.

Raoul est resté seul. Il a attendu dans la solitude et le silence. Soudain la loge s'est ouvert et il a vu la femme de chambre qui s'en est allée toute seule, emportant des paquets. Il l'a arrêté au passage et lui a demandé des nouvelles de sa maîtresse. Elle lui a répondu en riant que celle-ci allait tout à fait bien. Une idée a traversé la cervelle de Raoul: Évidemment la Daaé voulait rester seule pour lui!.. Il s'est rapproché de sa loge et voulait frapper. Mais il s'est arrêté. Il a entendu, dans la loge, une voix d'homme:

«Christine, il faut m'aimer!»

Et la voix de Christine a répondu:

«Comment pouvez-vous me dire cela? Moi qui ne chante que pour vous![56]»

Raoul souffrait. Il a pris son cœur à deux mains pour le faire taire.

La voix d'homme a repris:

«Vous devez être bien fatiguée[57]?

– Oh! ce soir, je vous ai donné mon âme et je suis morte.

– Ton âme est bien belle, mon enfant, a repris la voix grave d'homme et je te remercie. Les anges ont pleuré ce soir.»

Après ces mots: les anges ont pleuré ce soir, le vicomte n'entendait plus rien. Il s'est rejeté dans son coin d'ombre, a décidé à attendre là. À sa grande stupéfaction[58] la porte s'est ouverte, et Christine Daaé est sortie seule. Elle a refermé la porte, mais Raoul a observé qu'elle n'a refermé point à clef. Il a ouvert la porte de la loge et l'a refermé derrière lui. Il se trouvait dans l'obscurité.

«Il y a quelqu'un ici! a dit Raoul. Pourquoi se cache-t-il?»

Raoul n'entendait que le bruit de sa propre respiration. Et il fait craquer une allumette[59]. La flamme a éclairé la loge. Il n'y avait personne dans la loge!

«Ah çà! a-t-il dit tout haut, est-ce que je deviens fou?»

Il est sorti. Il ne savait pas quoi faire, où aller. Il se trouvait au bas d'un étroit escalier. Derrière lui, un cortège d'ouvriers descendait avec un brancard couvert avec un linge blanc.

«Qu'est-ce que c'est que ça[60]?» a-t-il demandé.

L'ouvrier a répondu:

«Ça, c'est Joseph Buquet que l'on a trouvé pendu dans le troisième dessous.»

Il s'est effacé devant le cortège, a salué et est sorti.

III

Où, pour la première fois, MM. Debienne et Poligny donnent, en secret, aux nouveaux directeurs de l'opéra, MM. Armand Moncharmin et Firmin Richard, la véritable et mystérieuse raison de leur départ de l'académie nationale de musique

Pendant ce temps la cérémonie des adieux avait lieu[61].

J'ai dit que cette fête magnifique était donnée par MM. Debienne et Poligny à l'occasion de[62] leur départ de l'Opéra. Ils voulait mourir comme nous disons aujourd'hui: en beauté.

Tout le monde était au foyer de la danse.

À Paris, on est toujours au bal masqué et MM. Debienne souriaient déjà trop à la Sorelli, qui commençait son compliment quand une réclamation de cette petite folle de Jammes a brisé le sourire[63] de MM. les directeurs:

«Le fantôme de l'Opéra!»

Jammes avait jeté cette phrase sur un ton de terreur et son doigt désignait dans la foule des habits noirs un visage.

«Le fantôme de l'Opéra! Le fantôme de l'Opéra!»

Mais le fantôme de l'Opéra a disparu!

La Sorelli était furieuse: elle n'avait pas pu achever son discours; MM. Debienne et Poligny l'a embrassée, remerciée et ils sont sauvés aussi rapides que le fantôme lui-même. Nul ne s'en est étonné, car on savait qu'ils devaient avoir la même cérémonie à l'étage supérieur, au foyer du chant. Leurs amis intimes étaient reçus une dernière fois dans le grand vestibule du cabinet directorial, où un véritable souper les attendait.

Et c'est là que nous les retrouvons avec les nouveaux directeurs MM. Armand Moncharmin et Firmin Richard.

Le souper était presque gai. MM. Debienne et Poligny avaient déjà remis à MM. Armand Moncharmin et Firmin Richard les deux clefs minuscules, les passe-partout[64] qui ouvraient toutes les portes de l'Académie nationale de musique. Ces petites clefs passaient de main en main[65] quand quelqu'un a découvert cette étrange et fantastique figure aux yeux caves au bout de la table, qui était déjà apparue au foyer de la danse et qui avait été saluée par la petite Jammes de cette apostrophe: «le fantôme de l'Opéra!»

Il n'a pas prononcé un mot. Les amis de MM. Firmin Richard et Armand Moncharmin croyaient qu'il était un intime de MM. Debienne et Poligny[66], tandis que les amis de MM. Debienne et Poligny pensaient qu'il était du coté de MM. Richard et Moncharmin.

MM. Debienne et Poligny, placés au milieu de la table, n'ont pas encore aperçu l'homme à la tête de mort, quand celui-ci s'est mis tout à coup à parler[67].

«Les rats ont raison, a-t-il dit. La mort de ce pauvre Buquet n'est peut-être point si naturelle qu'on le croit[68]

Debienne et Poligny ont sursauté.

«Buquet est mort? se sont-ils écriés.

– Oui, a répliqué tranquillement l'homme ou l'ombre d'homme… Il a été trouvé pendu, ce soir, dans le troisième dessous.»

Les deux directeurs sont devenus plus pâles que la nappe. Enfin, Debienne a fait un signe à MM. Richard et Moncharmin: Poligny a prononcé quelques paroles d'excuse à l'adresse des invités, et tous quatre sont passés dans le bureau directorial. Je laisse la parole à M. Moncharmin.

«MM. Debienne et Poligny semblaient de plus en plus agités, raconte-t-il dans ses mémoires. Ils nous ont donné le conseil de faire de nouvelles serrures, dans le plus grand secret, pour les appartements et les cabinets. Ils étaient si drôles en disant cela, que nous nous sommes mis à rire en leur demandant s'il y avait des voleurs à l'Opéra? Ils nous ont répondu qu'il y avait quelque chose de pire. C'était le fantôme. Richard hochait la tête[69] avec tristesse. Cependant, malgré tous nos efforts, nous n'ont pas pu, à la fin, nous empêcher de «pouffer» à la barbe[70] de MM. Debienne et Poligny.

Richard a demandé: «Mais enfin qu'est-ce qu'il veut ce fantôme-là?»

M. Poligny s'est dirigé vers son bureau et en revenu avec une copie du cahier des charges[71].

Cette copie, a dit M. Moncharmin, était à l'encre noire et entièrement conformait à celle que nous possédions.

Mais sous l'article 98 il y avait une écriture bizarre et tourmentée, comme écriture d'enfant:

5° Le directeur ne doit pas retarder de plus de quinze jours la mensualité qu'il doit au fantôme de l'Opéra, mensualité fixée jusqu'à nouvel ordre à 20 000 francs – 240 000 francs par an.»

«C'est tout? Il ne veut pas autre chose? a demandé Richard avec sang-froid.

– Si, a répliqué Poligny.»

Et il a feuilleté encore le cahier des charges et lu:

«Art. 63. – La grande avant-scène de droite des premières n° i, sera réservée à toutes les représentations pour le chef de l'État…»

Et encore, en fin de cet article, M. Poligny nous a montré une ligne à l'encre rouge qui y avait été ajoutée.

«La première loge n° 5 sera mise à toutes les représentations à la disposition du fantôme de l'Opéra.»

Sur ce dernier coup[72], nous ne pouvaient que nous lever et serrer chaleureusement les mains de nos deux prédécesseurs en les félicitant d'avoir imaginé cette charmante plaisanterie.

Richard a dit:

«Mais enfin, il me semble que vous êtes bien bons avec ce fantôme[73]. Si j'avais un fantôme aussi gênant que ça, je n'hésiterais pas à le faire arrêter[74]

– Mais où? Mais comment? se sont-ils écriés en chœur; nous ne l'avons jamais vu!

– Mais quand il vient dans sa loge?

– Nous ne l'avons jamais vu dans sa loge.

– Alors, louez-la.

– Louer la loge du fantôme de l'Opéra! Eh bien! messieurs, essayez!»

Sur quoi, nous sommes sortis tous quatre du cabinet directorial. Richard et moi nous n'avions jamais «tant ri»«.

Moi qui ne chante que pour vous! – Мне, которая пела только для вас! (выражение «ne… que» – переводится как «только»)

Vous devez être bien fatiguée – Должно быть вы очень устали

À sa grande stupéfaction – К своему большому удивлению

Et il fait craquer une allumette – И он зажег спичку

la femme de chambre – горничная

il en avait le droit – у него было на это право

se mirent à rire – выражение «se mettre à rire» – начать смеяться

Allez-vous-en tous! – Все прочь!

Qu'est-ce que c'est que ça? – Что это такое?

la cérémonie des adieux avait lieu – проходила прощальная церемония

à l'occasion de – по случаю

se mit tout à coup à parler – вдруг заговорил («se mettre à faire quelque chose» используется в значении «начать делатьчто-либо»)

La mort de ce pauvre Buquet n'est peut-être point si naturelle qu'on le croit – Смерть этого бедного Бюкэ возможно не так уж и естественна как можно сперва подумать

Richard hochait la tête – Ришар покачал головой

a brisé le sourire – стерла улыбку

les passe-partout – универсальных

de main en main – из рук в руки

Les amis de MM. Firmin Richard et Armand Moncharmin crurent que ce convive décharné était un intime de MM. Debienne et Poligny – Друзья Мушармена и Ришара думали, что этот бестелесный гость был близким другом Дебьенна и Полиньи

«pouffer» à la barbe – усмехаться в лицо

cahier des charges – инструкция

Sur ce dernier coup – в этот момент

il me semble que vous êtes bien bons avec ce fantôme – Кажется, вы хорошо ладите с этим призраком

Saint-Cyr – Сен-Сир – военное училище, которое занимается подготовкой офицерских кадров для французской армии и жандармерии. Основано Наполеоном Бонапартом в 1802 году.

Il était dans les dans les premiers numéros – он был среди лучших

que cette femme se trouve mal – эта женщина дурно себя чувствует (сейчас упадёт в обморок)

dont la voix magique lui avait arraché le cœur – чей волшебный голос терзал его душу

le foyer de la danse – танцевальный зал

Elle semblait avoir rendu l'âme – Казалось, она отдала всю душу

Le comte de Chagny avait assisté, debout dans sa loge, à ce délire et s'y était mêlé par ses bravos éclatants – Граф Шаньи присутствовал, стоя в своей ложе, при этом восторге и выкрикивал громкие «браво»

L'amour seul est capable d'accomplir un pareil miracle – Только любовь может сотворить такое чудо

avait peine à – выражение «avoir peine à» – с трудом что-либо делать

repris connaissance – выражение «reprendre connaissance» – прийти в сознание

il mit tout le monde à la porte – он выставил всех за дверь

Si j'avais un fantôme aussi gênant que ça, je n'hésiterais pas à le faire arrêter – Если бы я имел такое беспокойное привидение, я бы не колеблясь приказал арестовать его

IV

La loge n° 5

Armand Moncharmin a écrit des volumineux mémoires et il n'avait pas assez de temps de s'occuper de l'Opéra. M. Moncharmin ne connaissait pas une note de musique, mais il tutoyait le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, avait fait un peu de journalisme sur le boulevard et avait d'une assez grosse fortune. Enfin, c'était un charmant garçon et qui était assez intelligent à commanditer l'Opéra. Il a choisi celui qui serait utile comme directeur et est allé tout droit[75] à Firmin Richard.

Firmin Richard était un musicien distingué[76], il avait environ cinquante ans. Il a publié de la musique de chambre[77] très appréciée des amateurs, de la musique pour piano, des sonates ou des pièces fugitives remplies d'originalité, un recueil de mélodies. M. Firmin Richard aimait à peu près toute la musique et tous les musiciens, il était du devoir de tous les musiciens d'aimer M. Firmin Richard. Disons en terminant ce rapide portrait que M. Richard était ce qu'on appelle un autoritaire, c'est-à-dire qu'il avait un fort mauvais caractère[78].

Les premiers jours avec les nouveaux directeurs ont passé à l'Opéra tout à la joie et ils avaient certainement oublié cette curieuse et bizarre histoire du fantôme. Mais un jour un incident s'est produit et leur a prouvé que – s'il y avait farce – la farce n'était point terminée[79].

M. Firmin Richard est arrivé ce matin-là à onze heures à son bureau. Son secrétaire, M. Rémy, lui a montré une demi-douzaine de lettres qui portaient la mention «personnelle»[80]. L'une de ces lettres a attiré tout de suite l'attention[81] de Richard non seulement parce que la suscription de l'enveloppe était à l'encre rouge, mais encore parce que l'écriture lui a semblé connue. C'était l'écriture rouge avec laquelle on avait complété si étrangement le cahier des charges. Il a ouvert l'enveloppe et a lu:

«Mon cher directeur, je vous demande pardon de venir vous troubler[82] en ces moments si précieux où vous prenez les décisions importantes avec une sûreté de vue, une entente du théâtre, une science du public et de ses goûts, une autorité qui a été bien près de stupéfier ma vieille expérience. Je suis au courant de ce que vous venez de faire pour la Carlotta, la Sorelli et la petite Jammes, et pour quelques autres. Vous avez deviné les admirables qualités, le talent ou le génie. – (Vous savez bien de qui je parle quand j'écris ces mots-là; ce n'est point pour la Carlotta, qui chante horriblement; ni pour la Sorelli, qui est seulement belle; ni pour la petite Jammes, qui danse comme un veau dans la prairie. Ce n'est point non plus pour Christine Daaé, dont le génie est certain[83], mais que vous ne donnez pas de grands rôles.) – Enfin, vous êtes libres d'administrer votre petite affaire comme vous voulez n'est-ce pas? Tout de même, je désirerais entendre Christine Daaé ce soir dans le rôle de Siebel, puisque celui de Marguerite, depuis son triomphe de l'autre jour, lui est interdit. Je vous prierai[84] de ne pas disposer de ma loge aujourd'hui ni les jours suivants; car je ne terminerai pas cette lettre sans vous avouer combien j'ai été désagréablement surpris, ces temps derniers, en arrivant à l'Opéra, d'apprendre que ma loge avait été louée sur vos ordres. Je n'ai point protesté, d'abord parce que je suis l'ennemi du scandale, ensuite parce que je m'imaginais que vos prédécesseurs, MM. Debienne et Poligny, qui ont toujours été charmants pour moi, avaient négligé avant leur départ de vous parler de mes petites manies. Or, je viens de recevoir la réponse de MM. Debienne et Poligny à ma demande d'explications, réponse qui me prouve que vous êtes au courant de[85] mon cahier des charges et par conséquent[86] que vous vous moquez de moi.

Si vous voulez que nous vivions en paix, il ne faut pas commencer par m'enlever ma loge! Sous le bénéfice de ces petites observations, veuillez me considérer, mon cher directeur, comme votre très humble et très obéissant serviteur[87]

Signé… F. de l'Opéra.

Cette lettre était accompagnée d'un extrait de la petite correspondance de la Revue théâtrale, où on lisait ceci: «F. de l'O.: R. et M. sont inexcusables. Nous les avons prévenus et nous leur avons laissé votre cahier des charges. Salutations.»

«La plaisanterie continue, a dit M. Richard à M. Armand Moncharmin qui venait d'entrer[88] dans son bureau avec la même lettre dans les mains; mais elle n'est pas drôle!

– Qu'est-ce que ça signifie? a demandé M. Moncharmin. Pensent-ils que parce qu'ils ont été directeurs de l'Opéra nous allons leur donner une loge pour toute la vie?»

«Au fait, qu'est-ce qu'ils veulent? a dit M. Richard, une loge pour ce soir?»

M. Firmin Richard a donné l'ordre à son secrétaire d'envoyer la première loge n° 5 à MM. Debienne et Poligny, si elle n'était pas louée.

Elle ne l'était pas. Moncharmin a examiné les enveloppes. MM. Debienne et Poligny habitaient: le premier, au coin de la rue Scribe et du boulevard des Capucines; le second, rue Auber. Les deux lettres du fantôme F. de l'Opéra avait été mises au bureau de poste du boulevard des Capucines.

«As-tu vu comme ils nous traitent à propos de[89] la Carlotta, de la Sorelli et de la petite Jammes? Il faut quand même être polis![90] a observé Moncharmin.

– Eh bien, cher, ces gens-là sont malades de jalousie!.. Quand je pense qu'ils sont allés jusqu'à payer une petite correspondance à la Revue théâtrale!.. Ils n'ont donc plus rien à faire?[91]

À propos! a dit encore Moncharmin, ils ont l'air de s'intéresser beaucoup[92] à la petite Christine Daaé…»

Là-dessus, Firmin Richard a donné l'ordre à l'huissier de faire entrer les artistes. Toute cette journée s'est passé en discussions, pourparlers, signatures ou ruptures de contrats. Les directeurs étaient autant fatigués qu'ils ne sont pas allés vérifier la loge n° 5, pour savoir si MM. Debienne et Poligny trouvaient le spectacle à leur goût[93].

Le lendemain matin, MM. Richard et Moncharmin ont trouvé dans leur courrier, d'une part[94], une carte de remerciement du fantôme, ainsi conçue:

«Mon cher Directeur,

Merci. Charmante soirée. Daaé exquise. Soignez les chœurs. La Carlotta, magnifique et banal instrument. Vous vais écrire bientôt pour les 240 000 francs, – exactement 233 424 fr 70; MM. Debienne et

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