Les Lois Psychologiques de l'Évolution des Peuples. La Psychologie des Foules
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Gustave Le Bon

LES LOIS PSYCHOLOGIQUES DE L'ÉVOLUTION DES PEUPLES

LA PSYCHOLOGIE DES FOULES

Cet ouvrage a pour but de décrire les caractères psychologiques qui constituent l’âme des races et de montrer comment l’histoire d’un peuple et sa civilisation dérivent de ces caractères. Nous rechercherons ensuite si les éléments dont se compose une civilisation : arts, institutions, croyances, ne sont pas les manifestations directes de l’âme des races, et ne peuvent pour cette raison passer d’un peuple à un autre. Nous terminerons enfin en tâchant de déterminer sous l’influence de quelles nécessités les civilisations pâlissent, puis s’éteignent. Ce sont des problèmes que nous avons longuement traités dans divers ouvrages sur les civilisations de l’Orient. Ce petit volume doit être considéré simplement comme une brève synthèse.

La foule, dans le sens où l'emploie Le Bon, est distincte du simple agrégat d'individus.

Les foules sont régies par une « loi d'unité mentale des foules ». Elles ont en quelque sorte une « âme », avec des passions et un fonctionnement organique comparable à celui de l'esprit humain. Dans le livre I, Le Bon examine les passions et le mode de représentation d'une foule ; dans le livre II, il examine les origines et les caractéristiques de ses croyances.


Table des matières

LOIS PSYCHOLOGIQUES DE L'ÉVOLUTION DES PEUPLES

INTRODUCTION

LES IDÉES ÉGALITAIRES MODERNES ET LES BASES PSYCHOLOGIQUES DE L'HISTOIRE

Naissance et développement de l'idée égalitaire. – Les conséquences qu'elle a produites. – Ce qu'a déjà coûté son application. – Son influence actuelle sur les foules. – Problèmes abordés dans cet ouvrage. – Recherche des facteurs principaux de l'évolution générale des peuples. – Cette évolution dérive-t-elle des institutions? – Les éléments de chaque civilisation: institutions, arts, croyances, etc., n'auraient-ils pas certains fondements psychologiques spéciaux à chaque peuple? – Les hasards de l'histoire et les lois permanentes.

La civilisation d'un peuple repose sur un petit nombre d'idées fondamentales. De ces idées dérivent ses institutions, sa littérature et ses arts. Très lentes à se former, elles sont très lentes aussi à disparaître. Devenues depuis longtemps des erreurs évidentes pour les esprits instruits, elles restent pour les foules des vérités indiscutables et poursuivent leur œuvre dans les masses profondes des nations. S'il est difficile d'imposer une idée nouvelle, il ne l'est pas moins de détruire une idée ancienne. L'humanité s'est toujours cramponnée désespérément aux idées mortes et aux dieux morts.

Il y a un siècle et demi à peine que des philosophes, fort ignorants d'ailleurs de l'histoire primitive de l'homme, des variations de sa constitution mentale et des lois de l'hérédité, ont lancé dans le monde l'idée de l'égalité des individus et des races.

Très séduisante pour les foules, cette idée finit par se fixer solidement dans leur esprit et porta bientôt ses fruits. Elle a ébranlé les bases des vieilles sociétés, engendré la plus formidable des révolutions, et jeté le monde occidental dans une série de convulsions violentes dont le terme est impossible à prévoir.

Sans doute, certaines des inégalités qui séparent les individus et les races étaient trop apparentes pour pouvoir être sérieusement contestées; mais on se persuada aisément que ces inégalités n'étaient que les conséquences des différences d'éducation, que tous les hommes naissent également intelligents et bons, et que les institutions seules avaient pu les pervertir. Le remède était dès lors très simple: refaire les institutions et donner à tous les hommes une instruction identique. C'est ainsi que les institutions et l'instruction ont fini par devenir les grandes panacées des démocraties modernes, le moyen de remédier à des inégalités choquantes pour les immortels principes qui sont les dernières divinités d'aujourd'hui.

Certes, une science plus avancée a prouvé la vanité des théories égalitaires et montré que l'abîme mental, créé par le passé entre les individus et les races, ne pourrait être comblé que par des accumulations héréditaires fort lentes. La psychologie moderne, à côté des dures leçons de l'expérience, a montré que les institutions et l'éducation qui conviennent à certains individus et à certains peuples sont fort nuisibles à d'autres, Mais il n'est pas au pouvoir des philosophes d'anéantir les idées lancées dans le monde, le jour où ils reconnaissent qu'elles sont erronées. Comme le fleuve débordé qu'aucune digue ne saurait contenir, l'idée poursuit sa course dévastatrice, et rien n'en ralentit le cours.

Cette notion chimérique de l'égalité des hommes qui a bouleversé le monde, suscité en Europe une révolution gigantesque, lancé l'Amérique dans la sanglante guerre de sécession et conduit toutes les colonies françaises à un état de lamentable décadence, il n'est pas un psychologue, pas un voyageur, pas un homme d'Etat un peu instruit, qui ne sache combien elle est erronée; et pourtant il en est bien peu qui ose la combattre.

Loin d'ailleurs d'être entrée dans une phase de déclin, l'idée égalitaire continue à grandir encore. C'est en son nom que le socialisme, qui semble devoir asservir bientôt la plupart des peuples de l'Occident, prétend assurer leur bonheur. C'est en son nom que la femme moderne, oubliant les différences mentales profondes qui la séparent de l'homme, réclame les mêmes droits, la même instruction que lui et finira, si elle triomphe, par faire de l'Européen un nomade sans foyer ni famille.

Des bouleversements politiques et sociaux que les principes égalitaires ont engendrés, de ceux beaucoup plus graves qu'ils sont destinés à engendrer encore, les peuples ne se soucient guère, et la vie politique des hommes d'Etat est aujourd'hui trop courte pour qu'ils s'en soucient davantage. L'opinion publique est d'ailleurs devenue maîtresse souveraine, et il serait impossible de ne pas la suivre.

L'importance sociale d'une idée n'a d'autre mesure réelle que la puissance qu'elle exerce sur les âmes. Le degré de vérité ou d'erreur qu'elle comporte ne saurait avoir d'intérêt qu'au point de vue philosophique. Quand une idée vraie ou fausse est passée chez les foules à l'état de sentiment, toutes les conséquences qui en découlent doivent être successivement subies.

C'est donc au moyen de l'instruction et des institutions que le rêve égalitaire moderne tente de s'accomplir. C'est grâce à elles que, réformant les injustes lois de la nature, nous essayons de couler dans le même moule les cerveaux des nègres de la Martinique, de la Guadeloupe et du Sénégal, ceux des Arabes de l'Algérie et enfin ceux des Asiatiques. C'est là sans doute une bien irréalisable chimère, mais l'expérience seule peut montrer le danger des chimères. La raison ne saurait transformer les convictions des hommes.

 

Cet ouvrage a pour but de décrire les caractères psychologiques qui constituent l'âme des races et de montrer comment l'histoire d'un peuple et sa civilisation dérivent de ces caractères. Laissant de côté les détails, ou ne les envisageant que quand ils seront indispensables pour démontrer les principes exposés, nous examinerons la formation et la constitution mentale des races historiques, c'est-à-dire des races artificielles formées depuis les temps historiques par les hasards des conquêtes, des immigrations ou des changements politiques, et nous tâcherons de démontrer que de cette constitution mentale découle leur histoire. Nous constaterons le degré de fixité et de variabilité des caractères des races. Nous essaierons de découvrir si les individus et les peuples marchent vers l'égalité ou tendent au contraire à se différencier de plus en plus. Nous rechercherons ensuite si les éléments dont se compose une civilisation: arts, institutions, croyances, ne sont pas les manifestations directes de l'âme des races, et ne peuvent pour cette raison passer d'un peuple à un autre. Nous terminerons enfin en tâchant de déterminer sous l'influence de quelles nécessités les civilisations pâlissent, puis s'éteignent. Ce sont des problèmes que nous avons longuement traités dans divers ouvrages sur les civilisations de l'Orient. Ce petit volume doit être considéré simplement comme une brève synthèse.

Ce qui m'est resté de plus clair dans l'esprit, après de lointains voyages dans les pays les plus divers, c'est que chaque peuple possède une constitution mentale aussi fixe que ses caractères anatomiques, et d'où ses sentiments, ses pensées, ses institutions, ses croyances et ses arts dérivent. Tocqueville et d'autres penseurs illustres ont cru trouver dans les institutions des peuples la cause de leur évolution. Je suis persuadé au contraire, et j'espère prouver, en prenant précisément des exemples dans les pays qu'a étudiés Tocqueville, que les institutions ont sur l'évolution des civilisations une importance extrêmement faible. Elles sont le plus souvent des effets, et bien rarement des causes.

Sans doute l'histoire des peuples est déterminée par des facteurs fort divers. Elle est pleine de cas particuliers, d'accidents qui ont été et qui auraient pu ne pas être. Mais à côté de ces hasards, de ces circonstances accidentelles, il y a de grandes lois permanentes qui dirigent la marche générale de chaque civilisation. De ces lois permanentes, les plus générales, les plus irréductibles découlent de la constitution mentale des races. La vie d'un peuple, ses institutions, ses croyances et ses arts ne sont que la trame visible de son âme invisible, Pour qu'un peuple transforme ses institutions, ses croyances et ses arts, il lui faut d'abord transformer son âme; pour qu'il pût léguer à un autre sa civilisation, il faudrait qu'il pût lui léguer aussi son âme. Ce n'est pas là sans doute ce que nous dit l'histoire; mais nous montrerons aisément qu'en enregistrant des assertions contraires elle s'est laissé tromper par de vaines apparences.

Les réformateurs qui se succèdent depuis un siècle ont essayé de tout changer: les dieux, le sol et les hommes. Sur les caractères séculaires de l'âme des races que le temps a fixés, ils n'ont rien pu encore.

La conception des différences irréductibles qui séparent les êtres est tout à fait contraire aux idées des socialistes modernes, mais ce ne sont pas les enseignements de la science qui pourraient faire renoncer à des chimères les apôtres d'un nouveau dogme. Leurs tentatives représentent une phase nouvelle de l'éternelle croisade de l'humanité à la conquête du bonheur, ce trésor des Hespérides que depuis l'aurore de l'histoire les peuples ont poursuivi toujours. Les rêves égalitaires ne vaudraient pas moins peut-être que les vieilles illusions qui nous menaient jadis, s'ils ne devaient se heurter bientôt au roc inébranlable des inégalités naturelles. Avec la vieillesse et la mort ces inégalités font partie des iniquités apparentes dont la nature est pleine et que l'homme doit subir.

LIVRE PREMIER

LES CARACTÈRES PSYCHOLOGIQUES DES RACES

CHAPITRE PREMIER

L'AME DES RACES

Comment les naturalistes classent les espèces. – Application à l'homme de leurs méthodes. – Côté défectueux des classifications actuelles des races humaines. – Fondements d'une classification psychologique. – Les types moyens des races. – Comment l'observation permet de les constituer. – Facteurs physiologiques qui déterminent le type moyen d'une race. – L'influence des ancêtres et celle des parents immédiats. – Fonds psychologique commun que possèdent tous les individus d'une race. – Immense influence des générations éteintes sur les générations actuelles. – Raisons mathématiques de cette influence. – Comment l'âme collective s'est étendue de la famille au village, à la cité et à la province. – Avantages et dangers de la conception de la cité. – Circonstances dans lesquelles la formation de l'âme collective est impossible. – Exemple de l'Italie. – Comment les races naturelles ont fait place aux races historiques.

Les naturalistes font reposer leur classification des espèces sur la constatation de certains caractères anatomiques se reproduisant par l'hérédité avec régularité et constance. Nous savons aujourd'hui que ces caractères se transforment par l'accumulation héréditaire de changements imperceptibles; mais si l'on ne considère que la courte durée des temps historiques, on peut dire que les espèces sont invariables.

Appliquées à l'homme, les méthodes de classification des naturalistes ont permis d'établir un certain nombre de types parfaitement tranchés. En se basant sur des caractères anatomiques bien nets, tels que la couleur de la peau, la forme et la capacité du crâne, il a été possible d'établir que le genre humain comprend plusieurs espèces nettement séparées et probablement d'origines très différentes. Pour les savants respectueux des traditions religieuses, ces espèces sont simplement des races. Mais, comme on l'a dit avec raison, «si le nègre et le caucasien étaient des colimaçons, tous les zoologistes affirmeraient à l'unanimité qu'ils constituent d'excellentes espèces, n'ayant jamais pu provenir d'un même couple dont ils se seraient graduellement écartés.»

Ces caractères anatomiques, ceux du moins que notre analyse peut atteindre, ne permettent que des divisions générales fort sommaires. Leurs divergences n'apparaissent que chez des espèces humaines bien tranchées: les blancs, les nègres et les jaunes, par exemple. Mais des peuples, très semblables par leur aspect physique, peuvent être fort différents par leurs façons de sentir et d'agir, et par conséquent par leurs civilisations, leurs croyances et leurs arts. Est-il possible, par exemple, de classer dans un même groupe un Espagnol, un Anglais et un Arabe? Les différences mentales existant entre eux n'éclatent-elles pas à tous les yeux et ne se lisent-elles pas à chaque page de leur histoire?

A défaut de caractères anatomiques, on a voulu s'appuyer, pour la classification de certains peuples, sur divers éléments tels que les langues, les croyances et les groupements politiques; mais de telles classifications ne résistent guère à l'examen.

Les éléments de classification que l'anatomie, les langues, le milieu, les groupements politiques ne sauraient fournir, nous sont donnés par la psychologie. Celle-ci montre que, derrière les institutions, les arts, les croyances, les bouleversements politiques de chaque peuple, se trouvent certains caractères moraux et intellectuels dont son évolution dérive. Ce sont ces caractères dont l'ensemble forme ce que l'on peut appeler l'âme d'une race.

Chaque race possède une constitution mentale aussi fixe que sa constitution anatomique. Que la première soit en rapport avec une certaine structure particulière du cerveau, cela ne semble pas douteux; mais comme la science n'est pas assez avancée encore pour nous montrer cette structure, nous sommes dans l'impossibilité de la prendre pour base. Sa connaissance ne saurait nullement modifier d'ailleurs la description de la constitution mentale qui en découle et que l'observation nous révèle.

Les caractères moraux et intellectuels, dont l'association forme l'âme d'un peuple, représentent la synthèse de tout son passé, l'héritage de tous ses ancêtres, les mobiles de sa conduite. Ils semblent très variables chez les individus d'une même race; mais l'observation prouve que la majorité des individus de cette race possède toujours un certain nombre de caractères psychologiques communs, aussi stables que les caractères anatomiques qui permettent de classer les espèces. Comme ces derniers, les caractères psychologiques se reproduisent par l'hérédité avec régularité et constance.

Cet agrégat d'éléments psychologiques observable chez tous les individus d'une race constitue ce qu'on appelle avec raison le caractère national. Leur ensemble forme le type moyen qui permet de définir un peuple. Mille Français, mille Anglais, mille Chinois, pris au hasard, diffèrent notablement entre eux; mais ils possèdent cependant, de par l'hérédité de leur race, des caractères communs qui permettent de construire un type idéal du Français, de l'Anglais, du Chinois, analogue au type idéal que le naturaliste présente lorsqu'il décrit d'une façon générale le chien ou le cheval. Applicable aux diverses variétés de chiens ou de chevaux, une telle description ne peut comprendre que les caractères communs à tous, et nullement ceux qui permettent de distinguer leurs nombreux spécimens.

Pour peu qu'une race soit suffisamment ancienne, et par conséquent homogène, son type moyen est assez nettement établi pour se fixer rapidement dans l'esprit de l'observateur.

Lorsque nous visitons un peuple étranger, les seuls caractères qui puissent nous frapper, parce qu'ils sont les seuls qui soient constamment répétés, sont précisément les caractères communs à tous les habitants du pays parcouru. Les différences individuelles, étant peu répétées, nous échappent; et bientôt, non seulement nous distinguons à première vue un Anglais, un Italien, un Espagnol, mais de plus nous savons très bien leur attribuer certains caractères moraux et intellectuels, qui sont justement les caractères fondamentaux dont nous parlions plus haut. Un Anglais, un Gascon, un Normand, un Flamand correspondent à un type bien défini dans notre esprit et que nous pouvons décrire aisément. Appliquée à un individu isolé, la description pourra être fort insuffisante, et parfois inexacte; appliquée à la majorité des individus d'une de ces races, elle la dépeindra parfaitement. Le travail inconscient qui s'établit dans notre esprit pour déterminer le type physique et mental d'un peuple est tout à fait identique dans son essence à la méthode qui permet au naturaliste de classifier les espèces.

Cette identité dans la constitution mentale de la majorité des individus d'une race a des raisons physiologiques très simples. Chaque individu, en effet, n'est pas seulement le produit de ses parents directs, mais encore de sa race, c'est-à-dire de toute la série de ses ascendants. Un savant économiste, M. Cheysson, a calculé qu'en France, à raison de trois générations par siècle, chacun de nous aurait dans les veines le sang d'au moins 20 millions de contemporains de l'an 1000. «Tous les habitants d'une même localité, d'une même province ont donc nécessairement des ancêtres communs, sont pétris du même limon, portent la même empreinte, et sont sans cesse ramenés au type moyen par cette longue et lourde chaîne dont ils ne sont que les derniers anneaux. Nous sommes à la fois les fils de nos parents et de notre race. Ce n'est pas seulement le sentiment, c'est encore la physiologie et l'hérédité qui font pour nous de la patrie une seconde mère.»

Si l'on voulait traduire en langage mécanique les influences auxquelles est soumis l'individu et qui dirigent sa conduite, on pourrait dire qu'elles sont de trois sortes. La première, et certainement la plus importante, est l'influence des ancêtres; la deuxième, l'influence des parents immédiats; la troisième qu'on croit généralement la plus puissante, et qui cependant est de beaucoup la plus faible, est l'influence des milieux. Ces derniers, en y comprenant les diverses influences physiques et morales auxquelles l'homme est soumis pendant sa vie, et notamment pendant son éducation, ne produisent que des variations très faibles. Ils n'agissent réellement que lorsque l'hérédité les a accumulés dans le même sens pendant longtemps.

Quoi qu'il fasse, l'homme est donc toujours et avant tout le représentant de sa race. L'ensemble d'idées, de sentiments que tous les individus d'un même pays apportent en naissant, forme l'âme de la race. Invisible dans son essence, cette âme est très visible dans ses effets, puisqu'elle régit en réalité toute l'évolution d'un peuple.

On peut comparer une race à l'ensemble des cellules qui constituent un être vivant. Ces milliards de cellules ont une durée très courte, alors que la durée, de l'être formé par leur union est relativement très longue; elles ont donc à la fois une vie personnelle, la leur, et une vie collective, celle de l'être, dont elles composent la substance. Chaque individu d'une race a, lui aussi, une vie individuelle très courte et une vie collective très longue. Cette dernière est celle de la race dont il est né, qu'il contribue à perpétuer, et dont il dépend toujours.

La race doit donc être considérée comme un être permanent, affranchi du temps. Cet être permanent est composé non seulement des individus vivants qui le constituent à un moment donné, mais aussi de la longue série des morts qui furent ses ancêtres. Pour comprendre la vraie signification de la race, il faut la prolonger à la fois dans le passé et dans l'avenir. Infiniment plus nombreux que les vivants, les morts sont aussi infiniment plus puissants qu'eux. Ils régissent l'immense domaine de l'inconscient, cet invisible domaine qui tient sous son empire toutes les manifestations de l'intelligence et du caractère. C'est par ses morts, beaucoup plus que par ses vivants, qu'un peuple est conduit. C'est par eux seuls qu'une race est fondée. Siècle après siècle, ils ont créé nos idées et nos sentiments, et par conséquent tous les mobiles de notre conduite. Les générations éteintes ne nous imposent pas seulement leur constitution physique; elles nous imposent aussi leurs pensées. Les morts sont les seuls maîtres indiscutés des vivants. Nous portons le poids de leurs fautes, nous recevons la récompense de leurs vertus.

La formation de la constitution mentale d'un peuple ne demande pas, comme la création des espèces animales, ces âges géologiques dont l'immense durée échappe à tous nos calculs. Elle exige cependant un temps assez long. Pour créer dans un peuple comme le nôtre, et cela à un degré assez faible encore, cette communauté de sentiments et de pensées qui forme son âme, il a fallu plus de dix siècles[1]. L'œuvre la plus importante peut être de notre Révolution a été d'activer cette formation en finissant à peu près de briser les petites nationalités: Picards, Flamands, Bourguignons, Gascons, Bretons, Provençaux, etc., entre lesquelles la France était divisée jadis. Il s'en faut, certes, que l'unification soit complète, et c'est surtout parce que nous sommes composés de races trop diverses, et ayant par conséquent des idées et des sentiments trop différents, que nous sommes victimes de dissensions que des peuples plus homogènes, tels que les Anglais, ne connaissent pas. Chez ces derniers, le Saxon, le Normand, l'ancien Breton ont fini par former, en se fusionnant, un type très homogène, et par conséquent tout est homogène dans la conduite. Grâce à cette fusion, ils ont fini par acquérir solidement ces trois bases fondamentales de l'âme d'un peuple: des sentiments communs, des intérêts communs, des croyances communes. Quand une nation en est arrivée là, il y a accord instinctif de tous ses membres sur toutes les grandes questions, et les dissentiments sérieux ne naissent plus dans son sein.

Cette communauté de sentiments, d'idées, de croyances et d'intérêts, créée par de lentes accumulations héréditaires, donne à la constitution mentale d'un peuple une grande identité et une grande fixité. Elle assure du même coup à ce peuple une immense puissance. Elle a fait la grandeur de Rome dans l'antiquité, celle des Anglais de nos jours. Dès qu'elle disparaît, les peuples se désagrègent. Le rôle de Rome fut fini quand elle ne la posséda plus.

Il a toujours plus ou moins existé chez tous les peuples et à tous les âges, ce réseau de sentiments, d'idées, de traditions et de croyances héréditaires qui forme l'âme d'une collectivité d'hommes, mais son extension progressive s'est faite d'une façon très lente. Restreinte d'abord à la famille et graduellement propagée au village, à la cité, à la province, l'âme collective ne s'est étendue à tous les habitants d'un pays qu'à une époque assez moderne. C'est alors seulement qu'est née la notion de patrie telle que nous la comprenons aujourd'hui. Elle n'est possible que lorsqu'une âme nationale est formée. Les Grecs ne s'élevèrent jamais au delà de la notion de cité, et leurs cités restèrent toujours en guerre parce qu'elles étaient en réalité très étrangères l'une à l'autre. L'Inde, depuis 2000 ans, n'a connu d'autre unité que le village, et c'est pourquoi depuis 2000 ans, elle a toujours vécu sous des maîtres étrangers dont les empires éphémères se sont écroulés avec autant de facilité qu'ils s'étaient formés.

Très faible au point de vue de la puissance militaire, la conception de la cité comme patrie exclusive a toujours, au contraire, été très forte au point de vue du développement de la civilisation. Moins grande que l'âme de la patrie, l'âme de la cité fut parfois plus féconde. Athènes dans l'antiquité, Florence et Venise au moyen âge nous montrent le degré de civilisation auquel de petites agglomérations d'hommes peuvent atteindre.

Lorsque les petites cités ou les petites provinces ont vécu pendant longtemps d'une vie indépendante, elles finissent par posséder une âme si stable que sa fusion avec celles de cités et de provinces voisines, pour former une âme nationale, devient presque impossible. Une telle fusion, alors même qu'elle peut se produire, c'est-à-dire lorsque les éléments mis en présence ne sont pas trop dissemblables, n'est jamais l'œuvre d'un jour, mais seulement celle des siècles. Il faut des Richelieu et des Bismarck pour achever une telle œuvre, mais ils ne l'achèvent que lorsqu'elle est élaborée depuis longtemps. Un pays peut bien, comme l'Italie, arriver brusquement, par suite de circonstances exceptionnelles, à former un seul Etat, mais ce serait une erreur de croire qu'il acquiert du même coup pour cela une âme nationale. Je vois bien en Italie des Piémontais, des Siciliens, des Vénitiens, des Romains, etc., je n'y vois pas encore des Italiens.

Quelle que soit aujourd'hui la race considérée, qu'elle soit homogène, ou ne le soit pas, par le fait seul qu'elle est civilisée et entrée depuis longtemps dans l'histoire, il faut toujours la considérer comme une race artificielle et non comme une race naturelle. De races naturelles, on n'en trouverait guère actuellement que chez les sauvages. Ce n'est plus que chez eux qu'on peut observer des peuples purs de tout mélange. La plupart des races civilisées ne sont aujourd'hui que des races historiques.

Nous n'avons pas à nous préoccuper maintenant des origines des races. Qu'elles aient été formées par la nature ou par l'histoire, il n'importe. Ce qui nous intéresse, ce sont leurs caractères tels qu'un long passé les a constitués. Maintenus pendant des siècles par les mêmes conditions d'existence et accumulés par l'hérédité, ces caractères ont fini par acquérir une grande fixité et par déterminer le type de chaque peuple.

1

Ce temps, fort long pour nos anales, est en réalité assez court, puisqu'il ne représente que trente générations, Si un temps relativement aussi restreint suffit à fixer certains caractères, cela tient à ce que dès qu'une cause agit pendant quelques temps dans le même sens elle produit rapidement des effets très grands, Les mathématiques montrent que quand une cause persiste en produisant le même effet, les causes croisent en progression arithmétique (1, 2, 3, 4, 5, etc.), et les effets en progression géométrique (2, 4, 8, 16, 32, etc.) les causes sont les logarithmes des effets. Dans le fameux problème du doublement des grains de blé sur les cases de l'échiquier, le numéro d'ordre des cases est le logarithme du nombre des grains de blé. De même pour la somme placée à intérêts composés, la loi de l'accroissement est telle que le nombre des années est le logarithme du capital accumulé. C'est pour des raisons de cet ordre que la plupart des phénomènes sociaux peuvent se traduire par des courbes géométriques à peu près semblables. Dans un autre travail j'étais arrivé à constater que ces courbes peuvent s'exprimer au point de vue analytique par l'équation de la parabole ou de l'hyperbole. Mon savant ami M. Cheysson pense qu'ils se traduisent mieux le plus souvent par une équation exponentielle.


CHAPITRE II

LIMITES DE VARIABILITÉ DU CARACTÈRE DES RACES

La variabilité du caractère des races, et non sa fixité, constitue la règle apparente. – Raisons de cette apparence. – Invariabilité des caractères fondamentaux et variabilité des caractères secondaires. – Assimilation des caractères psychologiques aux caractères irréductibles et aux caractères modifiables des espèces animales. – Le milieu, les circonstances, l'éducation agissent seulement sur les caractères psychologiques accessoires. – Les possibilités de caractère. – Exemples fournis par diverses époques. – Les hommes de la Terreur. Ce qu'ils fussent devenus à d'autres époques. – Comment malgré les révolutions persistent les caractères nationaux. Exemples divers. – Conclusion.

Ce n'est qu'en étudiant avec soin l'évolution des civilisations qu'on constate la fixité de la constitution mentale des races. Au premier abord, c'est la variabilité et non la fixité qui semble la règle générale. L'histoire des peuples pourrait faire supposer en effet que leur âme subit parfois des transformations très rapides et très grandes. Ne semble-t-il pas, par exemple, qu'il y ait une différence considérable entre le caractère d'un Anglais du temps de Cromwell et celui d'un Anglais moderne? L'Italien actuel, circonspect et subtil, ne paraît-il pas fort différent de l'Italien impulsif et féroce que nous décrit dans ses Mémoires Benvenuto Cellini? Sans aller si loin, et en nous bornant à la France, que de changements apparents dans le caractère en un petit nombre de siècles, et parfois même d'années! Quel est l'historien qui n'ait pas noté les différences du caractère national entre le XVIIe et le XVIIIe siècle? et, de nos jours, ne semble-t-il pas qu'il y ait un monde entre le caractère de nos farouches conventionnels et celui des dociles esclaves de Napoléon? C'étaient pourtant les mêmes hommes, et, en quelques années, ils semblent avoir entièrement changé.

Pour élucider les causes de ces changements, nous rappellerons tout d'abord que l'espèce psychologique est, comme l'espèce anatomique, formée d'un très petit nombre de caractères fondamentaux irréductibles, autour desquels se groupent des caractères accessoires modifiables et changeants. L'éleveur qui transforme la structure apparente d'un animal, le jardinier qui modifie l'aspect d'une plante, au point qu'un œil non exercé ne la reconnaît pas, n'ont en aucune façon touché aux caractères fondamentaux de l'espèce; ils n'ont agi que sur ses caractères accessoires. Malgré tous les artifices, les caractères fondamentaux tendent toujours à reparaître à chaque nouvelle génération.

La constitution mentale, elle aussi, a des caractères fondamentaux, immuables comme les caractères anatomiques des espèces; mais elle possède également des caractères accessoires aisément modifiables. Ce sont ces derniers que les milieux, les circonstances, l'éducation et divers facteurs peuvent aisément changer.

Il faut aussi se rappeler, et ce point est essentiel, que dans notre constitution mentale, nous possédons tous certaines possibilités de caractère, auxquelles les circonstances ne fournissent pas toujours l'occasion de se manifester. Lorsqu'elles viennent à surgir, une personnalité nouvelle, plus ou moins éphémère, surgit aussitôt. C'est ainsi qu'aux époques de grandes crises religieuses et politiques, on observe des changements momentanés de caractère tels qu'il semble que les mœurs, les idées, la conduite, tout enfin ait changé. Tout a changé en effet, comme la surface du lac tranquille tourmentée par l'orage. Il est rare que ce soit pour longtemps.

C'est en raison de ces possibilités de caractère mises en œuvre par certains événements exceptionnels, que les acteurs des grandes crises religieuses et politiques nous semblent d'une essence supérieure à la nôtre, des sortes de colosses dont nous serions les fils dégénérés. C'étaient pourtant des hommes comme nous, chez lesquels les circonstances avaient simplement mis en jeu des possibilités de caractère que nous possédons tous. Prenez, par exemple, ces «géants de la Convention», qui tenaient tête à l'Europe en armes et envoyaient leurs adversaires à la guillotine pour une simple contradiction. C'étaient, au fond, d'honnêtes et pacifiques bourgeois comme nous, qui, en temps ordinaire, eussent probablement mené au fond de leur étude, de leur cabinet, de leur comptoir, l'existence la plus tranquille et la plus effacée. Des événements extraordinaires firent vibrer certaines cellules de leur cerveau, inutilisées à l'état ordinaire, et ils devinrent ces figures colossales que déjà la postérité ne comprend plus. Cent ans plus tard, Robespierre eût été, sans doute, un honnête juge de paix très ami de son curé; Fouquier-Tinville un juge d'instruction, possédant un peu plus peut-être que ses collègues l'âpreté et les façons rogues des gens de sa profession, mais très apprécié pour son zèle à poursuivre les délinquants; Saint-Just fût devenu un excellent maître d'école, estimé de ses chefs et très fier des palmes académiques qu'il eût sûrement fini par obtenir. Il suffit, pour ne pas douter de la légitimé de ces prévisions, de voir ce que fit Napoléon des farouches terroristes qui n'avaient pas encore eu le temps de se couper réciproquement le cou. La plupart devinrent chefs de bureau, percepteurs, magistrats ou préfets. Les vagues soulevées par l'orage, dont nous parlions plus haut, s'étaient calmées, et le lac agité avait repris sa surface tranquille.

Même dans les époques les plus troublées, produisant les plus étranges changements de personnalités, on retrouve aisément sous des formes nouvelles les caractères fondamentaux de la race. Le régime centralisateur, autoritaire et despotique de nos rigides jacobins fut-il bien différent, en réalité, du régime centralisateur, autoritaire et despotique que quinze siècles de monarchie avaient profondément enraciné dans les âmes? Derrière toutes les révolutions des peuples latins, il reparaît toujours, cet obstiné régime, cet incurable besoin d'être gouverné, parce qu'il représente une sorte de synthèse des instincts de leur race. Ce ne fut pas seulement par l'auréole de ses victoires que Bonaparte devint maître. Quand il transforma la république en dictature, les instincts héréditaires de la race se manifestaient chaque jour avec plus d'intensité; et, à défaut d'un officier de génie, un aventurier quelconque eût suffi. Cinquante ans plus tard l'héritier de son nom n'eut qu'à se montrer pour rallier les suffrages de tout un peuple fatigué de liberté et avide de servitude. Ce n'est pas Brumaire qui fit Napoléon, mais l'âme de sa race qu'il allait courber sous son talon de fer[2].

Si l'influence des milieux sur l'homme paraît aussi grande, c'est précisément parce qu'ils agissent sur les éléments accessoires et transitoires, ou encore sur les possibilités du caractère dont nous venons de parler. En réalité, les changements ne sont pas bien profonds. L'homme le plus pacifique, poussé par la faim, arrive à un degré de férocité qui le conduit à tous les crimes, et parfois même à dévorer son semblable. Dira-t-on pour cela que son caractère habituel a définitivement changé?

Que les conditions de la civilisation conduisent les uns à l'extrême richesse et à tous les vices qui en sont l'inévitable suite; qu'elles créent chez les autres des besoins très grands sans leur donner les moyens de les satisfaire, il en résultera un mécontentement et un malaise général, qui agiront sur la conduite et provoqueront des bouleversements de toute sorte, mais dans ces mécontentements, ces bouleversements, se manifesteront toujours les caractères fondamentaux de la race. Les Anglais des Etats-Unis ont jadis apporté à se déchirer entre eux, pendant leur guerre civile, la même persévérance, la même énergie indomptable qu'ils en mettent aujourd'hui à fonder les villes, des universités et des usines. Le caractère ne s'était pas modifié. Seuls les sujets auxquels on l'appliquait avaient changé.

En examinant successivement les divers facteurs, susceptibles d'agir sur la constitution mentale des peuples, nous constaterions toujours qu'ils agissent sur les côtés accessoires et transitoires du caractère, mais ne touchent guère à ses éléments fondamentaux, ou n'y touchent qu'à la suite d'accumulations héréditaires très lentes.

Nous ne conclurons pas de ce qui précède que les caractères psychologiques des peuples sont invariables, mais seulement que, comme les caractères anatomiques, ils possèdent une fixité très grande. C'est en raison de cette fixité que l'âme des races change si lentement pendant le cours des âges.

2

«A son premier geste, écrit Taine, les Français se sont prosternés dans l'obéissance, et ils y persistent comme dans leur condition naturelle, les petits: paysans et soldats, avec une fidélité animale; les grands: dignitaires et fonctionnaires, avec une servilité byzantine. – De la part des républicains, nulle résistance; au contraire, c'est parmi eux qu'il a trouvé ses meilleurs instruments de règne, sénateurs, députés, conseillers d'Etat, juges, administrateurs de tout degré. Tout de suite, sous leurs prêches de liberté et d'égalité, il a démêlé leurs instincts autoritaires, leur besoin de commander, de primer, même en sous-ordre, et, par surcroît, chez la plupart d'entre eux, les appétits d'argent ou de jouissance. Entre le délégué du Comité de Salut Public et le ministre, le préfet ou sous-préfet de l'Empire, la différence est petite: c'est le même homme sous deux costumes, d'abord en carmagnole, puis en habit brodé.»


CHAPITRE III

HIÉRARCHIE PSYCHOLOGIQUE DES RACES

La classification psychologique repose, comme les classifications anatomique, sur la constatation d'un petit nombre de caractères irréductibles et fondamentaux. – Classification psychologique des races humaines. – Les races primitives. – Les races inférieures. – Les races moyennes. – Les races supérieures. – Éléments psychologiques dont le groupement permet cette classification. – Éléments qui possèdent le plus d'importance. – Le caractère. – La moralité. – Les qualités intellectuelles sont modifiables par l'éducation. – Les qualités du caractère sont irréductibles et constituent l'élément invariable de chaque peuple. – Leur rôle dans l'histoire. – Pourquoi des races différentes ne sauraient se comprendre et s'influencer. – Raisons de l'impossibilité de faire accepter une civilisation supérieure par un peuple inférieur.

Lorsqu'on examine, dans un livre d'histoire naturelle, les bases de la classification des espèces, on constate aussitôt que les caractères irréductibles et par conséquent fondamentaux, permettant de déterminer chaque espèce, sont très peu nombreux. Leur énumération tient toujours en quelques lignes.

C'est qu'en effet le naturaliste ne s'occupe que des caractères invariables, sans tenir compte des caractères transitoires. Ces caractères fondamentaux en entraînent fatalement d'ailleurs toute une série d'autres à leur suite.

Il en est de même des caractères psychologiques des races. Si l'on entre dans les détails, on constate, d'un peuple à l'autre, d'un individu à l'autre, des divergences innombrables et subtiles; mais si l'on ne s'attache qu'aux caractères fondamentaux, on reconnaît que pour chaque peuple ces caractères sont peu nombreux. Ce n'est que par des exemples – nous en fournirons bientôt de très caractéristiques – qu'on peut montrer clairement l'influence de ce petit nombre de caractères fondamentaux dans la vie des peuples.

Les bases d'une classification psychologique des races ne pouvant être exposées qu'en étudiant dans ses détails la psychologie de divers peuples, tâche qui demanderait à elle seule des volumes, nous nous bornerons à les indiquer dans leurs grandes lignes.

En ne considérant que leurs caractères psychologiques généraux, les races humaines peuvent être divisées en quatre groupes: 1° les races primitives; 2° les races inférieures; 3° les races moyennes; 4° les races supérieures.

Les races primitives sont celles chez lesquelles on ne trouve aucune trace de culture, et qui en sont restées à cette période voisine de l'animalité qu'ont traversée nos ancêtres de l'âge de la pierre taillée: tels sont aujourd'hui les Fuégiens et les Australiens.

Au-dessus des races primitives se trouvent les races inférieures, représentées surtout par les nègres. Elles sont capables de rudiments de civilisation, mais de rudiments seulement. Elles n'ont jamais pu dépasser des formes de civilisation tout à fait barbares, alors même que le hasard les a fait hériter, comme à Saint-Domingue, de civilisations supérieures.

Dans les races moyennes, nous classerons les Chinois, les Japonais, les Mogols et les peuples sémitiques. Avec les Assyriens, les Mogols, les Chinois, les Arabes, elles ont créé des types de civilisations élevées que les peuples européens seuls ont pu dépasser.

Parmi les races supérieures, on ne peut faire figurer que les peuples indo-européens. Aussi bien dans l'antiquité à l'époque des Grecs et des Romains, que dans les temps modernes, ce sont les seules qui aient été capables de grandes inventions dans les arts, les sciences et' l'industrie. C'est à elles qu'est dû le niveau élevé que la civilisation a atteint aujourd'hui. La vapeur et l'électricité sont sorties de leurs mains. Les moins développées de ces races supérieures, les Hindous notamment, se sont élevées dans les arts, les lettres et la philosophie, à un niveau que les Mogols, les Chinois et les Sémites n'ont jamais pu atteindre.

Entre les quatre grandes divisions que nous venons d'énumérer, aucune confusion n'est possible, l'abîme mental qui les sépare est évident. Ce n'est que lorsqu'on veut subdiviser ces groupes que les difficultés commencent. Un Anglais, un Espagnol, un Russe, font partie de la division des peuples supérieurs, mais cependant nous savons bien qu'entre eux les différences sont très grandes.

Pour préciser ces différences, il faudrait prendre chaque peuple séparément et décrire son caractère. C'est ce que nous ferons bientôt pour deux d'entre eux afin de donner une application de la méthode et montrer l'importance de ses conséquences.

Pour le moment, nous ne pouvons qu'indiquer très sommairement la nature des principaux éléments psychologiques qui permettent de différencier les races.

Chez les races primitives et inférieures – et il n'est pas besoin d'aller chez les purs sauvages pour en trouver, puisque les couches les plus basses des sociétés européennes sont homologues des êtres primitifs – on constate toujours une incapacité plus ou moins grande de raisonner, c'est-à-dire d'associer dans le cerveau, pour les comparer et percevoir leurs analogies et leurs différences, les idées produites par les sensations passées ou les mots qui en sont les signes, avec les idées produites par les sensations présentes. De cette incapacité de raisonner résulte une grande crédulité et une absence complète d'esprit critique. Chez l'être supérieur, au contraire, la capacité d'associer les idées, d'en tirer des conclusions est très grande, l'esprit critique et la précision hautement développés.

Chez les êtres inférieurs, on constate encore une dose d'attention et de réflexion très minime, un esprit d'imitation très grand, l'habitude de tirer des cas particuliers des conséquences générales inexactes, une faible capacité d'observer et de déduire des résultats utiles des observations, une extrême mobilité du caractère et une très grande imprévoyance. L'instinct du moment est le seul guide. Comme Esaü – type du primitif – ils vendraient volontiers leur droit d'aînesse futur pour le plat de lentilles présent. Lorsque à l'intérêt immédiat l'homme sait opposer un intérêt futur, se donner un but et le suivre avec persévérance, il a réalisé un grand progrès.

Cette incapacité de prévoir les conséquences lointaines des actes et cette tendance à n'avoir pour guide que l'instinct du moment condamnent l'individu aussi bien que la race à rester toujours dans un état très inférieur. Ce n'est qu'à mesure qu'ils ont pu dominer leurs instincts, c'est-à-dire qu'ils ont acquis de la volonté, et par conséquent de l'empire sur eux-mêmes, que les peuples ont pu comprendre l'importance de la discipline, la nécessité de se sacrifier à un idéal et s'élever jusqu'à la civilisation. S'il fallait évaluer par une mesure unique le niveau social des peuples dans l'histoire, je prendrais volontiers pour échelle le degré de leur aptitude à dominer leurs impulsions réflexes. Les Romains, dans l'antiquité, les Anglo-Américains dans les temps modernes, représentent les peuples qui ont possédé cette qualité au plus haut point. Elle a contribué puissamment à assurer leur grandeur.

C'est par leur groupement général et leur développement respectif que les divers éléments psychologiques précédemment énumérés forment les constitutions mentales qui permettent de classifier les individus et les races.

De ces éléments psychologiques les uns ont trait au caractère, les autres à l'intelligence.

Les races supérieures se différencient des races inférieures aussi bien par le caractère que par l'intelligence, mais c'est surtout par le caractère que se différencient entre eux les peuples supérieurs. Ce point a une importance sociale considérable et il importe de le marquer nettement.

Le caractère est formé par la combinaison, en proportion variée, des divers éléments que les psychologues désignent habituellement aujourd'hui sous le nom de sentiments. Parmi ceux qui jouent le rôle le plus important, il faut noter surtout: la persévérance, l'énergie, l'aptitude à se dominer, facultés plus ou moins dérivées de la volonté. Nous mentionnerons aussi, parmi les éléments fondamentaux du caractère, et bien qu'elle soit la synthèse de sentiments assez complexes, la moralité. Ce dernier terme, nous le prenons dans le sens de respect héréditaire des règles sur lesquelles l'existence d'une société repose. Avoir de la moralité, pour un peuple, c'est avoir certaines règles fixes de conduite et ne pas s'en écarter. Ces règles variant avec les temps et les pays, la morale semble par cela même chose très variable, et elle l'est en effet; mais pour un peuple donné, à un moment donné, elle doit être tout à fait invariable. Fille du caractère, et nullement de l'intelligence, elle n'est solidement constituée que lorsqu'elle est devenue héréditaire, et, par conséquent, inconsciente. D'une façon générale, c'est en grande partie du niveau de leur moralité que dépend la grandeur des peuples.

Les qualités intellectuelles sont susceptibles d'être légèrement modifiées par l'éducation; celles du caractère échappent à peu près entièrement à son action. Quand l'éducation agit sur elles, ce n'est que chez les natures neutres, n'ayant qu'une volonté à peu près nulle, et penchant aisément par conséquent vers le côté où elles sont poussées. Ces natures neutres se rencontrent chez des individus, mais bien rarement chez tout un peuple, ou, si on les y observe, ce n'est qu'aux heures d'extrême décadence.

Les découvertes de l'intelligence se transmettent aisément d'un peuple à l'autre. Les qualités du caractère ne sauraient se transmettre. Ce sont les éléments fondamentaux irréductibles qui permettent de différencier la constitution mentale des peuples supérieurs. Les découvertes dues à l'intelligence sont le patrimoine commun de l'humanité; les qualités ou les défauts du caractère constituent le patrimoine exclusif de chaque peuple. C'est le roc invariable que la vague doit battre jour après jour pendant des siècles avant d'arriver à pouvoir seulement en émousser les contours; c'est l'équivalent de l'élément irréductible de l'espèce, la nageoire du poisson, le bec de l'oiseau, la dent du carnivore.

Le caractère d'un peuple et non son intelligence détermine son évolution dans l'histoire et règle sa destinée. On le retrouve toujours, derrière les fantaisies apparentes, de ce hasard très impuissant, de cette providence très fictive, de ce destin très réel, qui, suivant les diverses croyances, guide les actions des hommes.

L'influence du caractère est souveraine dans la vie des peuples, alors que celle de l'intelligence est véritablement bien faible. Les Romains de la décadence avaient une intelligence autrement raffinée que celle de leurs rudes ancêtres, mais ils avaient perdu les qualités de caractère: la persévérance, l'énergie, l'invincible ténacité, l'aptitude à se sacrifier pour un idéal, l'inviolable respect des lois, qui avaient fait la grandeur de leurs aïeux. C'est par le caractère que 60000 Anglais tiennent sous le joug 250 millions d'Hindous, dont beaucoup sont au moins leurs égaux par l'intelligence, et dont quelques-uns les dépassent immensément par les goûts artistiques et la profondeur des vues philosophiques. C'est par le caractère qu'ils sont à la tête du plus gigantesque empire colonial qu'ait connu l'histoire. C'est sur le caractère et non sur l'intelligence que se fondent les sociétés, les religions et les empires. Le caractère, c'est ce qui permet aux peuples de sentir et d'agir. Ils n'ont jamais beaucoup gagné à vouloir trop raisonner et trop penser[3].

C'est de la constitution mentale des races que découle leur conception du monde et de la vie, par conséquent leur conduite. Nous en fournirons bientôt d'importants exemples. Impressionné d'une certaine façon par les choses extérieures, l'individu sent, pense et agit d'une façon fort différente de celles dont sentiront, penseront et agiront ceux qui possèdent une constitution mentale différente. Il en résulte que les constitutions mentales, construites sur des types très divers, ne sauraient arriver à se pénétrer. Les luttes séculaires des races ont surtout pour origine l'incompatibilité de leurs caractères. Il est impossible de rien comprendre à l'histoire si l'on n'a pas toujours présent à l'esprit que des races différentes ne sauraient ni sentir, ni penser, ni agir de la même façon, ni par conséquent se comprendre. Sans doute les peuples divers ont dans leurs langues des mots communs qu'ils croient synonymes, mais ces mots communs éveillent des sensations, des idées, des modes de penser tout à fait dissemblables chez ceux qui les entendent. Il faut avoir vécu avec des peuples dont la constitution mentale diffère sensiblement de la nôtre, même en ne choisissant parmi eux que les individus parlant notre langue et ayant reçu notre éducation, pour concevoir la profondeur de l'abîme qui sépare la pensée des divers peuples. On peut, sans de lointains voyages, s'en faire quelque idée en constatant la grande séparation mentale qui existe entre l'homme civilisé et la femme, alors même que celle-ci est très instruite. Ils peuvent avoir des intérêts communs, des sentiments communs, mais jamais des enchaînements de pensées semblables. Ils se parleraient pendant des siècles sans s'entendre parce qu'ils sont construits sur des types trop différents pour pouvoir être impressionnés de la même façon par les choses extérieures. La différence de leur logique suffirait à elle seule pour créer entre eux un infranchissable abîme.

Cet abîme entre la constitution mentale des diverses races nous explique pourquoi les peuples supérieurs n'ont jamais pu réussir à faire accepter leur civilisation par des peuples inférieurs. L'idée si générale encore que l'instruction puisse réaliser une telle tâche est une des plus funestes illusions que les théoriciens de la raison pure aient jamais enfantée. Sans doute, l'instruction permet, grâce à la mémoire que possèdent les êtres les plus inférieurs – et qui n'est nullement le privilège de l'homme, – de donner à un individu placé assez bas dans l'échelle humaine, l'ensemble des notions que possède un Européen. On fait aisément un bachelier ou un avocat d'un nègre ou d'un Japonais; mais on ne lui donne qu'un simple vernis tout à fait superficiel, sans action sur sa constitution mentale. Ce que nulle instruction ne peut lui donner, parce que l'hérédité seule les crée, ce sont les formes de la pensée, la logique, et surtout le caractère des Occidentaux. Ce nègre ou ce Japonais accumulera tous les diplômes possibles sans arriver jamais au niveau d'un Européen ordinaire. En dix ans, on lui donnera aisément l'instruction d'un Anglais bien élevé. Pour en faire un véritable Anglais, c'est-à-dire un homme agissant comme un Anglais dans les diverses circonstances de la vie où il sera placé, mille ans suffiraient à peine. Ce n'est qu'en apparence qu'un peuple transforme brusquement sa langue, sa constitution, ses croyances ou ses arts. Pour opérer en réalité de tels changements, il faudrait pouvoir transformer son âme.

3

L'extrême faiblesse des œuvres des psychologues de profession et leur peu d'intérêt pratique tient surtout à ce qu'ils se sont confinés exclusivement dans l'étude de l'intelligence et ont laissé à peu près entièrement de côté celle du caractère. Je ne vois guère que M. Paulhan dans son interessant Essai sur les caractères et M. Ribot, dans quelques pages, malheureusement beaucoup trop brèves, qui aient marqué l'importance du caractère et constaté qu'il forme la véritable base de la constitution mentale. «L'intelligence, écrit avec raison le savant professeur du Collège de France, n'est qu'une forme accessoire de l'évolution mentale. Le type fondamental est le caractère. L'intelligence a plutôt pour effet de le détruire quand elle est trop développée».

C'est à l'étude du caractère qu'il faudra s'attacher, comme j'essaie de le montrer ici, quand on voudra décrire la psychologie comparée des peuples. Qu'une science aussi importante, puisque l'histoire et la politique en découlent, n'ait jamais été l'objet d'aucune étude, c'est là ce qu'on comprendrait difficilement si on ne savait qu'elle ne peut s'acquérir ni dans les laboratoires, ni dans les livres, mais seulement par de longs voyages. Rien ne fait présager d'ailleurs qu'elle soit bientôt abordée par les psychologues de profession. Ils abandonnent de plus en plus aujourd'hui ce qui fut jadis leur domaine, pour se confiner dans des recherches d'anatomie et de physiologie.